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Octobre 2023

Faire face aux inondations du Rhône

Longé à l’Ouest par le Rhône, le département de la Drôme est régulièrement confronté aux inondations. Celles de l’automne 1993 et de décembre 2003 ont particulièrement marqué les esprits. Phénomène naturel des cours d’eau, les crues sont mentionnées dans divers documents d’archives. Certaines ont particulièrement marqué les esprits de leur temps et engendré des prises de conscience politiques.


Une gestion privée des risques


Jusqu’à la fin du XVIIIᵉ siècle, le Rhône a peu été aménagé par l’homme, que ce soit pour faciliter la navigation ou se protéger des inondations. Quelques digues insubmersibles étaient installées de façon éparse, à l’initiative des municipalités ou des particuliers. Mais il n’y avait pas de vision globale de la gestion du régime du fleuve. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées intervenaient à la demande des dirigeants locaux. En 1772, le député de la communauté Tain-l’Hermitage sollicite ainsi l’un de leurs inspecteurs. Sur place, sont vérifiés les endroits exposés aux « irruptions » du Rhône et le « genre d’ouvrage qu’il seroit necessaire d’oposer a ce fleuve ». Le tout a été consigné dans un procès-verbal, accompagné d’un plan de la digue et d’un devis.

C 267 - Plan de la rive gauche du Rhône à l'entrée de Tain-l'Hermitage, 1773

Lors de sinistres, les habitants requéraient malgré tout une forme d’aide auprès de l’intendant de la province, représentant local du pouvoir central (à l’image de notre préfet). Ils réclamaient régulièrement une réduction fiscale, pour compenser les frais de réparations des maisons et les pertes agricoles.

C 224 - Lettre des consuls et de la communauté d'Ancône à l'intendant du Dauphiné, 1759

En 1759, les consuls et la communauté d’Ancône adressent une longue supplique à l’intendant du Dauphiné pour diminuer leurs impôts, à la suite des « irruptions » du Rhône de 1755 et 1756. Après avoir exposé tous les dégâts occasionnés, forçant au départ plus de 50 familles, ils s’indignent de l’augmentation des impôts, qu’ils ont déjà dû mal à payer en temps normal. Ils réclament d’être exceptionnellement déchargés de la taille, de la capitation et des vingtièmes pour l’année 1759¹. On ne peut s’empêcher de percevoir entre les lignes le vif sentiment d’injustice et la colère annonciateurs de la Révolution. 

Ce n’est qu’à partir du XIXᵉ siècle, et surtout dans sa deuxième moitié, que l’État va chercher à discipliner le Rhône et à soulager les populations impactées par les inondations.


Les crues de 1840 et 1856, un tournant


Napoléon Bonaparte lance les débuts d’une politique d’aménagement des digues. Le décret impérial du 16 septembre 1807² soumet la construction des digues à l’autorisation du Gouvernement, qui en apprécie au préalable la nécessité. Les dépenses sont assumées par les propriétaires concernés, « sauf le cas où le Gouvernement croirait utile et juste d’accorder des secours sur les fonds publics ». En outre, l’État contribuera en partie aux frais d’entretien et de réparation. Cependant, deux crues du Rhône, mémorables par leur ampleur et les dégâts engendrés, remettent en cause cette politique peu interventionniste.

51 S 5 - Délibération du Conseil d'arrondissement de Valence priant le Service spécial des ingénieurs du Rhône d’entamer rapidement les réparations des digues et le ministre des Travaux publics de débloquer les fonds, 1841

En novembre 1840, après un été particulièrement sec, s’enchaînent pendant huit jours des pluies méditerranéennes et océaniques torrentielles sur tout le bassin rhodanien. Le fleuve et ses affluents sortent de leur lit, endommageant ce qui se trouve sur leur passage. Les propriétaires ne sont alors plus capables de supporter les coûts causés par une telle  catastrophe. L’État apparaît le seul à même de répondre à cette situation. Il crée l’année même le Service spécial du Rhône, placé sous la direction du ministère des Travaux publics. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui constituent ce service sont chargés d’encadrer les travaux d’endiguement.

51 S 5 - Tableau des ouvrages d’art sur le Rhône ravagés par les inondations de 1840, avec l’estimation du montant des réparations

La crue de mai 1856 semble d’autant plus exceptionnelle qu’elle a été soudaine. Elle est due une nouvelle fois à la concomitance de pluies océaniques et méditerranéennes intenses. De nombreuses digues rompent, rehaussant le niveau du Rhône. L’ampleur du phénomène remet en question la responsabilité de l’État et l’absence d’une vraie politique de protection. Après 1840, l’installation de digues sans réflexion générale s’est avérée contre-productive, le Rhône s’en trouvant plus étouffé. C’est ce que l’ingénieur E. de Mont-Rond avait pressenti dans son étude de 1847³ : outre le déboisement des montagnes et le défrichement des terrains en pente, il estime que l’endiguement a participé au débordement du Rhône. Napoléon III se déplace en personne le long du Rhône pour témoigner du soutien de l’État aux populations sinistrées et leur donner les premiers secours financiers.

51 S 4 - Lettre de l’Ingénieur en chef du Service spécial du Rhône à destination du préfet de la Drôme, qui mentionne la venue de « l’empereur » en 1856
CP 1/18 - Article du Courrier de la Drôme et de l'Ardèche relatant la visite de Napoléon III à Valence

Peu après, le 19 juillet, l’Empereur annonce dans sa lettre de Plombière un programme national de protection contre les inondations : il repose sur le confortement des digues protégeant les villes, l'organisation de déversements dans les plaines cultivées et la rétention des eaux par reboisement sur les reliefs. La loi du 25 mai 1858 « relative à l’exécution des travaux destinés à mettre les villes à l’abri des inondations » interdit l’endiguement des plaines pour préserver le champ d’expansion des crues en amont des agglomérations. L’État est officiellement responsable de la prévention et de la gestion des inondations. Bulletins et dépêches sont régulièrement envoyés aux préfets pour les tenir informés en « direct » des niveaux de crue.

51 S 1 - Bulletin journalier, 1860
Dépêche télégraphique, 1862
Instruction pour la station centrale de Valence sur la procédure à suivre en cas de montée des eaux

De la maîtrise à la résilience


Dès lors, les ingénieurs spécifiquement dédiés aux grands fleuves effectuent les travaux nécessaires à l’endiguement total du Rhône, achevés en 1869. Sont élevés près de 580 kilomètres de digues hautes et discontinues, qui s’abaissent vers l’aval pour laisser la crue envahir doucement les terres en montant vers l’amont.


Par la suite, la Compagnie nationale du Rhône, créée en 1933 pour produire de l’hydroélectricité, réussit à abaisser le niveau des crues moyennes, grâce au creusement de canaux de dérivation. Progressivement, le Rhône se trouve totalement artificialisé et séparé des populations par des digues.  


Avec les lois de décentralisation des années 1980, la gestion du risque d’inondation est transférée aux communes. À cet effet, le Plan de prévention des risques d’inondation (PPRI), annexé aux documents d’urbanisme, est institué en 1987. Si le Rhône s’est montré relativement sage pendant les Trente Glorieuses, les fortes crues de 1993-1994 et 2002-2003 ont rappelé à l’Homme qu’il ne saurait être totalement maîtrisé.

CP 297/1091 - Couverture du Dauphiné libéré, 3 décembre 2003
Pages "spéciales inondations", 4 décembre 2003

Aujourd’hui, la politique de prévention des inondations s’appuie sur différentes échelons, y compris européens, et insiste sur l’importance de responsabiliser, par l’information et la sensibilisation, les citoyens. Il s’agit ainsi de développer « une culture du risque », d’être plus résilient.

 

¹ Pour en savoir plus sur ces impôts d’Ancien Régime, cliquer ici.

² AD Drôme, 1 K 31 (pages 133-136).

³ Du Rhône et de ses affluents des Alpes, étude de E. de Mont-Rond, ingénieur ordinaire des Ponts et chaussées, attaché au service du département de l’Isère, 1847 (BH 3720).

Bibliographie


BH 3720 E. de Mont-Rond, Du Rhône et de ses affluents des Alpes, Paris / Grenoble, Lib. Carilian-Goeury et V. Dalmont / Lib. et éd. Ch. Vellot et Cie, 1847.


BH 7422-7423 Maurice Pardé, Le régime du Rhône : étude hydrologique, Grenoble / Lyon, Impr. Allier père et fils / Lib. Pierre Masson / Faculté des Lettres de Lyon, 1925, 2 vol.


BH 6922 Daniel Faucher, L'homme et le Rhône, Paris, Gallimard, 1968.


BH 7843 Michel-André Tracol, Mémoire de Rhodaniens : Album de cartes postales et de photographies, Granges-lès-Valence, Impressions modernes, 1977.


BH 217 Guy Dürrenmatt, Le Rhône autrefois, Grenoble, Curandera, 1987.


BH 5982 Alain Pelosato, Le Rhône et ses crues, Pantin, Éditions Naturellement, 1997.


Bernard Picon, Paul Allard, « Les inondations du Rhône aval de 1856, 1993, 1994, 2003 et leurs répercussions sociétales », dans La Houille blanche, avril 2007, n°2, p. 52-57, accessible ici.


Direction départementale des territoires de la Drôme, Plan de prévention des risques naturels – inondation, Rhône et ses affluents.


AP 354 Philippe Bouchardeau, « 1856. La crue du Rhône instrumentalisée par la politique impériale », dans Revue drômoise, n°586, décembre 2022, p. 54-61.

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