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Novembre 2024

La mémoire des insurgés à Crest

99 Fi 124 - L'insurgé

L'espace public français est parsemé de monuments commémoratifs dont beaucoup rendent hommage aux victimes des guerres du XXe siècle. Moins nombreux sont ceux qui font référence à l'histoire du XIXe siècle. La numérisation de la carte postale 99 Fi 124 représentant un insurgé à Crest est l'occasion d'évoquer un moment-clé de ce siècle mouvementé de l'histoire de France.

  

Sur un piédestal et devant un obélisque en pierre se dresse un jeune homme (sans doute un paysan) sculpté dans le bronze par Maurice Bouval, un artiste de style Art nouveau. L'air résolu, le poing serré et le fusil à la main, il est surplombé par un coq doré, symbole de notre pays. Ce monument est dédié aux citoyens qui combattirent pour la défense de la République suite au coup d'État du 2 décembre 1851. 

Les insurgés dans la Drôme

3 M 175 - Décret présidentiel du 2 décembre 1851

Quand la République redevient Empire


Largement élu au suffrage universel en 1848, Louis-Napoléon Bonaparte souhaite conserver le pouvoir en 1852, au terme de son mandat de Président de la seconde République, alors que la Constitution lui interdit de se représenter. Échouant à la faire réviser à l'automne 1851, il se décide à provoquer un coup d'État. Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, il dissout l'Assemblée nationale et prend le pouvoir à Paris. Il rétablit l'Empire l'année suivante. L’annonce du coup d'État entraîne de nombreux mouvements de protestation en province : c’est dans le Sud-Est que ce mouvement est le plus vif. 

Dans la Drôme, les républicains sont surtout influents dans les vallées du Rhône et de la Drôme, ainsi que dans les régions de Dieulefit et Bourdeaux. Leur projet consiste à marcher sur les chefs-lieux de cantons, à s’emparer de Die, Crest et Montélimar puis à converger sur Valence pour démettre l’autorité en place, avec l’aide des insurgés ardéchois.   

Des batailles sanglantes


La Drôme apprend le coup d'État par le télégraphe le mercredi 3 décembre à l’aube et la population s'agite le jour même. Entre le 5 et le 8 décembre, près de dix mille Drômois de toutes conditions sociales se rassemblent sur les places publiques au son du tambour et à l’appel du tocsin.


Devant l’effondrement de la révolte au plan national, des contrordres arrêtent le mouvement le 6 décembre dans certaines régions, comme le Diois ou le nord de la Drôme. Dans d’autres cas, l’ordre d’annulation n’arrive pas. Les 6 et 7 décembre, la population se soulève dans les vallées de la Drôme, de la Gervanne et de la Sye. Dans le pays de Bourdeaux, le long du Roubion, et de Dieulefit, le long du Jabron, des colonnes se forment et convergent vers Saou, puis vers Crest.  


C'est dans et autour de cette ville qu'ont lieu les affrontements les plus violents. Le soir du 6 décembre, une colonne républicaine de 300 à 400 personnes venue du nord et de l’est se heurte aux artilleurs qui défendent la tour, sur les hauteurs qui dominent la ville. Sur la rive sud de la Drôme, 600 à 700 habitants venus de Grâne et Chabrillan affrontent la troupe, près du pont qui mène à la ville. 


Le dimanche 7 décembre dans l’après-midi, une colonne insurrectionnelle de 4000 à 5000 hommes venue de la région de Bourdeaux et Dieulefit arrive aux abords du pont, défendu par la garnison et la garde civique de Crest. Les insurgés mettent la crosse de leurs fusils en l’air pour tenter de rallier les soldats à leur cause, mais ceux-ci répondent en ouvrant le feu. Au terme d’un combat de deux heures, on relève 2 morts parmi les militaires et au moins 7 parmi les insurgés ainsi que de nombreux blessés.

30 Fi 338/3 - Vue du village de Sauzet

Sauzet est le second lieu d'affrontements mortels. Dans la nuit du 6 au 7 décembre, 1200 habitants des villages des environs se regroupent. Leur marche vers Montélimar est stoppée à la sortie de Saint-Marcel-lès-Sauzet. Une fusillade avec la troupe dépêchée à leur rencontre fait 3 morts parmi les insurgés.


Au terme de ces deux journées, on compte donc au moins 17 morts, sans compter les blessés dont le nombre exact est impossible à estimer. A Valence et Romans, défendues par des garnisons puissantes, les républicains attendent en vain l’arrivée des insurgés de tout le département. Le mouvement cesse après l’échec d’une ultime marche sur Loriol le 8 décembre.

De telles batailles font figure d’exception en France : en dehors de la Drôme, on n’en retrouve que dans le Var et les Alpes-de-Haute-Provence.

L'origine géographique des insurgés

Une répression féroce commence dès le 8 décembre


Les arrestations sont d’abord opérées par les gendarmeries locales et les agents de police appuyés par les militaires des garnisons drômoises. Puis une colonne mobile de plus de six cents soldats, commandée par le colonel Couston et le préfet Ferlay en personne, procède à des centaines d’arrestations au fur et à mesure de son avancée dans le département.


Parallèlement, les administrations locales sont purgées : les maires, adjoints, instituteurs, gardes champêtres, « dont la conduite lors de l’insurrection a été hostile ou équivoque », sont révoqués voire emprisonnés. 


Une véritable justice d’exception est mise en place. À la fin de décembre 1851, c'est une commission militaire spéciale qui donne son avis, à huis clos. Suite à la circulaire du 2 février 1852, ce sont des commissions mixtes (armée, administration, justice) qui poursuivent le travail de justice. Dans la Drôme, le général Lapène, le préfet Ferlay et le procureur général Payan-Dumoulin, jugent, toujours à huis clos et sans appel possible, les cas déjà vus par les militaires, puis plus d’un millier de nouveaux. 


La Drôme compte parmi les départements français où l’insurrection a été la plus durement réprimée : 1617 insurgés sont poursuivis par la commission mixte. 


Benjamin Richer, militant républicain de Valence accusé d’avoir tenté d’assassiner sa mère qui l’aurait dénoncé, est poursuivi par le préfet qui souhaite frapper les esprits par une condamnation exemplaire. Il est condamné à mort et exécuté à Valence le 16 juin 1852.


Outre les quelque 200 Drômois déportés en Algérie, 8 le sont en Guyane. Une vingtaine de condamnés à « la déportation en enceinte fortifiée » sont conduits à Riom (Puy-de-Dôme) ou à Belle-Île (Morbihan) et quatre à Toulon. Une dizaine d’insurgés sont bannis et expulsés en Suisse, Italie ou Belgique. Ils y rejoignent la soixantaine de fugitifs qui y avaient trouvé refuge avant ou après l’insurrection. Quelques dizaines sont assignés à résidence dans un autre département ou dans un lieu de la Drôme éloigné leur domicile. 

Nombreux, enfin, sont ceux qui sont soumis, dans leur commune, à la surveillance étroite de la « police générale » qui épie leurs faits et gestes.


 Dès 1852, les grâces octroyées par l’empereur permettent aux insurgés qui font leur soumission d’obtenir des remises de peines. En 1859, une amnistie générale libère les derniers prisonniers.  

La réhabilitation et la mémoire


Sous la Troisième République, à partir de 1881, les insurgés de décembre 1851 connaissent un retour en grâce. Ils apparaissent comme de fervents adversaires du Second Empire. On veut voir en eux de farouches défenseurs des idées républicaines, au risque de simplifier les motivations parfois complexes qui les animaient.


Le 30 juillet 1881, l’Assemblée républicaine vote une loi d’indemnisation accordant aux anciens insurgés et leurs familles des pensions viagères d’un montant entre 100 et 1200 francs. 


Dans la Drôme, on compte 1660 demandes d’indemnisation : 1385 sont admises par la commission. En 1910, il reste dans la Drôme 36 survivants. Les pensions sont versées aux enfants des insurgés jusque dans les années 1930.

BH 2045 - Le livre d’or des victimes du coup d’Etat de 1851 et de la loi de sureté générale de 1858

Le  « livre d’or », un document unique ! 


Edité en 1893, Le livre d’or des victimes du coup d’Etat de 1851 et de la loi de sureté générale de 1858 doté d’un avant-propos de Noël Madier de Montjau, député de la Drôme, contient plusieurs listes. On y trouve le relevé des registres de la Commission mixte, une liste des victimes condamnées par le Conseil de guerre , ainsi que les noms de citoyens condamnés, emprisonnés ou fuyards non-inscrits sur les registres de la Commission. La Drôme est le seul département où un tel livre ait été publié.


Rédigé d’après les demandes d’indemnités formulées en 1880 et 1881, il est cependant incomplet : il manque des noms de tués et de fugitifs ainsi qu’un certain nombre de condamnations prononcées avant décembre 1851.


C’est néanmoins un témoignage précieux sur les destins de nombreux insurgés drômois. 

  

La statue de l’Insurgé à Crest 

La ville de Crest occupe une place particulière dans la postérité de l’insurrection. Dès 1854, un monument à la mémoire des défenseurs de l’ordre tombés lors des combats est érigé dans le cimetière de la ville. En 1878, on y grave les noms des victimes insurgées.


Mais c’est en 1910, avec l’érection de la statue de l’Insurgé, que Crest devient réellement un lieu de mémoire. Initiative du Cercle républicain de la Drôme à Paris, soutenue par les édiles et la population, le monument doit commémorer la résistance au coup d’État, mais également la défense de la République. Le choix de l’emplacement est symbolique : place de la Liberté, lieu des combats, face à la tour.


L’inauguration du 10 au 12 septembre 1910 donne lieu à trois jours de festivités, la fête de la Saint-Ferréol étant avancée pour l’occasion. Parmi les nombreux invités, outre la trentaine d’insurgés encore en vie, on trouve l’ancien président de la République, Emile Loubet, venu en voisin de Marsanne et le sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts Étienne Dujardin-Beaumetz


Un monument détruit... qui va renaître


La Seconde Guerre mondiale va voir la disparition de la statue. Le 20 Janvier 1942, ses 600 kg sont en effet déboulonnés afin de récupérer le bronze, utile en temps de guerre. Pourtant, et malgré le danger, des résistants poseront une gerbe devant le monument, qui conserve toute sa symbolique, le 14 Juillet de la même année.


En 1991, une reproduction très fidèle de ce symbole de démocratie retrouve néanmoins sa place initiale grâce à des initiatives locales. La statue, plus petite, est l'œuvre du sculpteur romanais Philippe Jamet-Fournier, et fut réalisée par la fonderie crestoise Barthélemy. Vous pouvez toujours l'admirer au milieu du rond-point de la Place de la liberté.

Graffiti sur le mur de la Tour de Crest où ont été emprisonnés des insurgés

Sources :

Cet article a été rédigé grâce aux textes de l'exposition itinérante 1851 - La Drôme s'insurge !  qui est disponible au prêt. Plus d'informations sur cette page


Le catalogue de l'exposition est disponible à la vente ou à la consultation (cote BH 6610).

 

Documents complémentaires :


· BH 9472 : Ah ! Quand viendra la belle ? : Résistants et insurgés de la Drôme (1848-1852) / Roger Pierre. - Notre temps, 1981.

Les documents de travail de Roger Pierre sont disponibles sous la cote 335 J 76.

· BH 3602 : Les insurgés de Crest / Robert Serre. - Comité pour la Restauration du Monument à l'Insurgé, 1991.

· L’insurrection de 1851 dans la Drôme / Robert Serre dans le Bulletin de l’Association 1851- 2001, n°2, juillet 1998 : https://1851.fr/lieux/drome/

. BH 5444 : 1851. Dix mille Drômois se révoltent : l'insurrection pour la République démocratique et sociale / Robert Serre. - Peuple libre, 2003.

 

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