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Mars 2025

1945, les Françaises entrent en politique

Si Léon Blum avait fait sensation en 1936 en choisissant trois femmes aux postes de sous-secrétaires d'État (Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie, et Suzanne Lacore), les femmes n'avaient à l'époque ni le droit de voter ni de se présenter aux élections. Mais il y a 80 ans, les Françaises ont, pour la première fois, pu mettre leurs bulletins dans l'urne et devenir des citoyennes à part entière. Il faut attendre près d'un siècle après l'instauration du suffrage "universel" masculin (le 5 mars 1848) pour qu'elles comptent enfin dans la vie politique. 

L'ordonnance de 1944


En 1944, le Comité français de libération nationale (CFLN), qui devient le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), est à Alger. L'Assemblée consultative provisoire (qui comprend une femme, Marthe Simard, nommée en 1943) doit statuer sur l'éligibilité des Françaises ; Fernand  Grenier, communiste, propose d'y ajouter le droit de vote. Comme seul le parti radical-socialiste est contre, le texte est voté à 51 voix contre 16. L'ordonnance du CFLN du 21 avril 1944, signée par le général de Gaulle, donne donc officiellement aux femmes majeures le droit d’être élues et électrices (hors colonies). Elle est confirmée par le GPRF par l’ordonnance du 9 août 1944.  

411 J 56 - Tract de l'Union française pour le suffrage des femmes en 1929 (fonds Marguerite Verguet)

Le fruit d'un long combat


De l'Asie aux Amériques, en passant par la pionnière Océanie, le droit de vote a été accordé aux femmes depuis des années voire des décennies selon les pays (1893 en Nouvelle Zélande) ! En Europe, c'est la Finlande qui a la première adopté le suffrage universel en 1906. 1918 pour l'Allemagne, 1919 pour le Bénélux, 1928 pour le Royaume-Uni, 1931 pour l'Espagne... les suffragistes françaises se désespèrent !


Il faut dire, comme le montre le tract ci-contre, que des propositions de loi en faveur du vote des femmes sont votées à plusieurs reprises par la Chambre des députés ! Le 20 mai 1919, le vote (par 344 voix contre 97) en faveur d'une proposition de loi pour le suffrage intégral des femmes est rejeté par le Sénat... trois ans et demi plus tard ! L'histoire se répète en 1925, 1928, 1932, 1935 et 1936. C'est toujours le Sénat qui procrastine ou refuse de mettre la question du vote des femmes à l'ordre du jour. 

La Française : "Je serai bientôt la seule dans le monde qui ne votera pas" / dessin de P. Dillé ; éditée par l' Union fraternelle des femmes, image Ville de Paris / BMD

Si la réflexion autour de la place des femmes et du droit de vote existe depuis longtemps, c'est au cours du XIXe siècle que les femmes françaises s'en emparent vraiment et se constituent en associations militantes. 


En 1832 paraît La femme libre,  revue réalisée et publiée uniquement par des femmes et qui proclame l'égalité des sexes. La Voix des femmes : journal quotidien, socialiste et politique, organe des intérêts de toutes est créé en 1848 par Eugénie Niboyet, journaliste et écrivaine. Il s'illustre lors de la campagne électorale de 1848, les rédactrices du journal souhaitant faire élire une femme à l'Assemblée nationale. Le projet est vite abandonné mais l'idée sera reprise par d'autres associations, notamment en 1910.


Hubertine Auclert fonde en 1876 la société Le Droit des femmes, qui réclame l'égalité politique entre les sexes. Rebaptisée Le suffrage des femmes en 1883, l'association organise des pétitions, manifestations, interventions publiques, etc. qui donnent une audience au combat. La Ligue française pour le droit des femmes est elle aussi une organisation pour les droits civils et politiques des femmes, fondée en 1882 par Maria Deraismes.


Le mouvement prend de l'ampleur au début du XXe siècle avec plusieurs associations : le Conseil national des femmes françaises (1901), l’Union fraternelle des Femmes (1901),  l'Union française pour le suffrage des femmes (1909) pour laquelle Marguerite Verguet militera activement dans notre département, la Ligue nationale pour le Vote des Femmes (1914),  la Femme nouvelle fondée par Louise Weiss en 1934... 


Parfois accompagnées de journaux qui relaient et diffusent leurs idées (La Citoyenne, La Fronde, La Française...), les suffragistes françaises utilisent un panel d'actions pour se faire entendre. Le droit de vote et d'éligibilité des femmes est donc le fruit d'un long combat tout autant qu'une reconnaissance du rôle des résistantes dans la libération de la France.

348 W 12 - Rapport du Commissaire principal des renseignements généraux de la Drôme sur les électeurs inscrits dans les chefs-lieux de canton de Tain l'Hermitage, St Vallier, le Grand serre et St Donat

Les femmes votent 


C'est en 1945 que les Françaises doivent s'exprimer au cours de 3 élections :

- municipales (29 avril et 13 mai)

- cantonales (23 et 30 septembre)

- réponse au référendum et législatives (21 octobre)


Mais il faut d'abord refaire les listes électorales. En novembre 1944, leur révision est lancée  : elles sont confectionnées à partir des fichiers des cartes d'alimentation. 


Comme on peut le constater grâce au document ci-contre, les hommes n'étant pas tous revenus, les femmes sont majoritaires. Le commissaire constate que "dans les communes précitées, les femmes se font presque toutes inscrire sur les listes électorales". C'est donc un franc succès même si toutes les femmes ne s'inscrivent pas. Les femmes représentent 56 % des électeurs à Saint-Donat ou 54 % à Tain-l'Hermitage par exemple. Sur toute la France, on estime le rapport à 60% d'électrices pour 40% d'électeurs. Cette situation s'atténue au cours de l'année 1945, qui voit le retour progressif des prisonniers, déportés, résistants et soldats.

CP 296 - Article paru dans le Progrès du 29 avril 1945 : Les femmes votent pour la première fois

Les femmes sont élues


Les élections municipales voient aussi l'arrivée des femmes dans les conseils municipaux. Elles participent aux meetings organisés par les partis et s'engagent. Les rapports faits au préfet (348 W 12), dont vous pouvez lire deux exemplaires ci-dessous, font état des listes en lice dans les communes de la Drôme. Si les femmes ne sont pas en tête, elles sont présentes dans de nombreuses listes des partis de tous bords.


À Valence, par exemple, chaque liste présente une ou plusieurs femmes : on retrouve des veuves de guerre ou femmes de prisonniers, une résistante,  plusieurs employées, une infirmière et deux ménagères membres de l'Union des femmes de France. Les milieux sont variés, tout comme dans les villes de taille plus modeste. 

Un exemple à Grâne, petit village de la vallée de la rivière Drôme : Henriette Fayn, receveuse des PTT, se présente sur la "Liste unique de résistance et républicaine". Dans la liste opposée, c'est la déléguée au Conseil de la résistance du village, Henriette Gaymard, qui s'engage auprès du Parti radical socialiste. 


Si certaines femmes sont élues maires en 1945 en France, il faut attendre l'année 1947 pour que des femmes deviennent enfin maires dans la Drôme. La couturière Alice Cartier, d'abord membre du conseil municipal, est élue maire de Saint-Dizier-en Diois. Jeanne Jossaud, agricultrice, est elle élue à Saint-Julien-en-Quint, village proche de Vassieux-en-Vercors. En 1947, les statistiques montrent que 201 femmes entrent dans les conseils municipaux drômois.

348 W 12 - Rapport du Commissaire principal des renseignements généraux de la Drôme sur les partis et listes électorales à Valence
348 W 12 - Rapport du Commissaire principal sur les partis et listes électorales pour les élections municipales dans diverses villes de la Drôme

L'engouement des femmes pour la politique est moins flagrant aux élections législatives d'octobre 1945. On ne compte que deux candidates : Jenny Flachier (Parti communiste) et Charlotte Chaze pour le Mouvement républicain populaire, jeune parti créé en novembre 1944. Elles ne seront ni l'une ni l'autre élues. Au niveau national, elles sont 33 à siéger à la Chambre sur un total de 586 représentants soit 5,6% des députés.


En effet, malgré cette évolution tant attendue par les citoyennes françaises, il faut signaler que leur place dans la politique française reste minime. Peu de femmes au gouvernement, faible présence à l'Assemblée nationale ou dans les mairies... La sous-représentation perdure, ce qui ouvre un autre débat dans les années 1990 : celui de la parité. Il ne sera résolu que par la loi du 6 juin 2000 instaurant l'obligation pour les partis politiques de présenter autant d'hommes que de femmes comme candidats. Quant à se faire élire, les femmes restent toujours minoritaires dans le monde politique d'aujourd'hui. Le combat pour l'égalité est donc loin d'être terminé.

Sources :

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