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Mars 2023

Femmes rebelles

Pour faire écho à la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, nous vous présentons des femmes drômoises qui ont fait entendre leur voix.

Femmes grévistes

Avec l’industrialisation progressive au XIXᵉ siècle et la dépénalisation du droit de grève (en 1864 pour la France¹), les mouvements de grève dans les usines se multiplient partout en Europe. Selon les secteurs, ils peuvent être entièrement menés par des femmes. Les premières grèves « de femmes » connues sont celles des ouvrières en allumettes, en Suède (1881) et à la Londres (1888). En France, on peut citer les ovalistes (ouvrières de la soie) de Lyon, qui cessent pendant presque un mois de travailler en 1869.


Mais ce phénomène est tout aussi avéré dans la Drôme, où l’industrie textile, majoritairement peuplée de femmes, prédomine. Les revendications sont alors communes à celles des hommes et concernent le temps et les conditions de travail, ainsi que le salaire (sans pour autant déjà parler d’égalité salariale). Regardons de plus près quelques-unes de ces grèves (10 M 106).


Le 11 février 1893, le commissaire de police de Valence écrit au préfet pour l’informer d’une grève dans une filature avenue Victor Hugo. Plus de la moitié des 45 ouvrières ont pris leurs effets et sont rentrées chez elles, réclamant «  de ne travailler que dix heures au lieu de onze et de ne plus subir de retenues lorsqu’elles s’absentent quelques minutes pour partir faire un besoin » ! On imagine mal une telle situation de nos jours.

De même, une baisse de salaire nous paraîtrait impensable. C’est pourtant ce qui arrive aux employées de diverses fabriques de soie à Crest. Le 14 février, environ 400 femmes et 40 enfants font grève : en raison d’un contexte difficile, les patrons ont annoncé une baisse de deux francs sur leur salaire. Noter que les dix hommes comptabilisés dans ces usines et qui occupent des postes de chauffeurs ou mécaniciens, n’ont pas fait grève (mais étaient-ils concernés par cette diminution ?). Les grévistes ont défilé en chantant, drapeau au vent. Finalement, après une deuxième grève le 1er mars, le procureur de la République et le maire de Crest parviennent à leur faire accepter cette baisse temporaire et circonstancielle.

La grève au féminin s’est déclinée de multiples manières et à d’autres fins que professionnelles. Ainsi, certaines ont fait grève de la faim ou de l’impôt pour réclamer le droit de vote. 


¹ La loi Ollivier du 25 mai 1864 autorise les coalitions d’ouvriers et de patrons, interdites depuis la Révolution. Faire grève devient légal, à condition de ne pas empêcher le travail des non-grévistes et de ne pas commettre d’actes de violences. 

Femmes suffragettes

Dès 1893, la Nouvelle-Zélande autorise le droit de vote aux femmes, suivie par plusieurs pays, notamment en Europe après la Première Guerre mondiale. Étonnement, la France reste en marge de ce mouvement. Les radicaux-socialistes sont particulièrement rétifs au suffrage universel, craignant un « vote clérical ».  


Cela n’empêche pas les Françaises de se mobiliser tout au long de la première moitié du XXᵉ siècle. En 1909, l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), branche française de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes, est créée par Jeanne Schmahl. Ses adhérentes sont issues des milieux bourgeois et intellectuels. Déçues de ne pas obtenir le droit de vote après la Première Guerre mondiale, elles sont de plus en plus nombreuses à rejoindre la cause (100 000 en 1928 contre 15 000 en 1915).


C’est dans ce contexte que l’enseignante militante Marguerite Verguet fonde en 1912 le premier groupe féministe de Valence : l’Association drômoise pour le suffrage des femmes, affiliée à l’UFSF. Elle en est réélue présidente jusqu’à sa dissolution en 1944, année d'obtention du suffrage féminin. Marguerite Verguet organise  la vie de l'association et met en place divers moyens d’action (411 J 55).


Elle a ainsi gardé, dans ses archives, des avis d’imposition de l’année 1930, sur lesquelles des femmes contribuables déclarent « Je refuse de payer parce que je ne vote pas » ou bien « Qui ne vote pas ne paie pas ». Cet acte de résistance fiscale a sans doute été inspiré par l’écrivaine et journaliste Hubertine Auclert. En 1880 déjà, cette pionnière du féminisme écrivait au préfet de la Seine : « Je n’ai pas de droits, donc je n’ai pas de charges ; je ne vote pas, je ne paye pas »².

En réclamant le droit de vote et d’éligibilité, toutes ces femmes veulent montrer qu’elles aussi peuvent avoir une réflexion et des convictions politiques. Elles n’ont d’ailleurs pas attendu ces droits pour faire du militantisme.


² Hubertine Auclert, Le vote des femmes, Paris, V. Giard & E. Brière, 1908 (disponible ici).

Femmes militantes


Dans l’entre-deux-guerres, le jeune Parti communiste français entrouvre ses portes aux femmes. Il s’agit certes d’une modeste ouverture dans les instances locales, mais elle permet à ces femmes de s’adonner activement au militantisme.  

Néanmoins, après la signature du pacte germano-soviétique en août 1939, l’invasion de la Pologne un mois plus tard par les troupes soviétiques et la position pacifiste affichée par le PCF, celui-ci devient l’ennemi intérieur. Le 26 septembre 1939, le gouvernement français prononce la dissolution du PCF et des associations, organisations et groupements affiliés, et interdit la publication et la distribution des écrits propageant les idées de la Troisième Internationale. Toute infraction est passible de 1 à 5 ans de prison et de 100 à 5 000 francs d'amende. Dès lors, les sympathisants et adhérents communistes entrent dans la clandestinité.


En juin 1940, Madame X³ se trouve ainsi condamnée à trois mois de prison avec sursis par le tribunal de Die pour « propagande communiste, défaitisme et tentative de regroupement de parti dissous ». On imagine bien que la fondatrice et secrétaire de l’ancienne cellule communiste d’Allex a de quoi inquiéter les autorités. Les propos défaitistes qu’elle aurait tenus (« La France et l’Angleterre n’en mènent pas large » ; « Seul Moscou dit la vérité ») ont donc suffi à ce que le préfet ordonne la perquisition de son domicile (3 U – en cours de classement).


Lors de son audience, l’inculpée se tient sur la réserve et adopte la stratégie de la femme ignorante et naïve. Par exemple, à la question « Ignorez-vous qu’un traité existe entre Staline et Hitler ? », elle répond que « ce sont des questions trop profondes » pour elle, et elle se garde bien d’émettre un quelconque avis sur le partage de la Pologne entre les deux dictateurs. Elle tire ainsi à son avantage l’idée selon laquelle les femmes seraient, d’après certains hommes, incapables d’avoir leur propre opinion politique.

Parmi les objets saisis dans son logement, se trouvaient des tracts du Parti communiste ou de l’Union fraternelle des femmes contre la guerre⁴. Leur contenu se raccroche bien à la première vague du féminisme : on y réclame les droits civils et politiques, mais on reste par ailleurs très attaché à la figure maternelle et à l’idée que la femme est un être par nature compatissant, soucieux de justice sociale, qui refuse d’envoyer ses enfants à la guerre. 

³ Afin de respecter les règles de diffusion relatives aux données personnelles dites « sensibles », nous avons anonymisé le nom de l’accusée.

⁴ Organisme féministe, communiste et pacifiste des années 1920, remplacé par le Comité des femmes contre la guerre et le fascisme.

Bibliographie


Laura Levine Frader, « Femmes, genre et mouvement ouvrier en France aux XIXᵉ et XXᵉ siècles : bilan et perspectives de recherche », dans Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 1996/1, n°3, accessible ici.


Michelle Perrot Les ouvriers en grève. France 1871-1890, Paris, EHESS, coll. Les Réimpressions, 2001.


Fanny Gallot, Fabrice Virgili , « Un genre de la grève ? », dans Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], 2020, accessible ici.


Anne-Sarah Bouglé-Moalic, Le Vote des Françaises : cent ans de débats, 1848-1944, Presses universitaires de Rennes, 2012.


Christine Bard, Les Filles de Marianne. Histoire des féminismes. 1914-1940, Fayard, 1995.


Paul Boulland, Julian Mischi, « Promotion et domination des militantes dans les réseaux locaux du Parti communiste français », dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2015/2, n° 126, p. 73-86.


BH 5799 Louisette Blanquart, Femmes : l'âge politique, Paris, Éditions Sociales, 1974.

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