Janvier 2022
Une pogne traverse les siècles
Nous commençons notre série Un mois, un document par un grand classique des Archives départementales de la Drôme : un livre-terrier tenu par la commanderie de Saint-Paul-lès-Romans entre 1320 et 1437 (cote 40 H 2).
La commanderie de Saint-Paul-lès-Romans
La commanderie désigne un bénéfice, c’est-à-dire un ensemble de biens fonciers et de revenus, accordé aux ordres militaires et religieux en récompense de leurs services. Les commanderies en Occident produisaient des surplus de revenus qui permettaient de financer la guerre en Terre Sainte, et hébergeaient les pèlerins de passage.
La commanderie de Saint-Paul-lès-Romans relevait des chevaliers de l’ordre de Malte, également connus sous le nom des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. L’acte le plus ancien y faisant référence est une donation de 1160. Elle se composait notamment d’un château, d’une chapelle, d’un four, d’un moulin, de nombreuses terres agricoles et de bois. Les chevaliers, dirigés par un commandeur, s’y succèdent jusqu’à la Révolution, date à laquelle le domaine, devenu bien national, est vendu à un particulier. Il ne reste aujourd’hui plus grand chose de l’ancienne commanderie, maintes fois réaménagée.
Le terrier, un document au service de la féodalité
Aussi appelé livre terrier ou papier terrier, le terrier est un registre décrivant pour une seigneurie : ses lois et usages ; ses biens-fonds (terres et constructions) ; le nombre et la condition de ses habitants ; les droits (protection) et obligations (redevances en argent ou en nature, corvées…) auxquels ces derniers sont soumis. En principe, le terrier devait être renouvelé tous les vingt ou trente ans. On y trouve parfois des plans terriers représentant la répartition des terres. Le terrier s’apparente donc à un cadastre de la seigneurie.
Supprimé à la Révolution, le terrier représente une source riche pour l’historien médiéviste et moderniste. Il permet de mieux connaître la société rurale : les habitants d’une seigneurie, les relations qu’ils entretiennent avec leur seigneur, la localisation et la nature des biens exploités (vignobles, champs, bois...). C’est un document qui fait à la fois office de liste de recensement, de matrice cadastrale et d’état de l’agriculture.
Un « tabellion facétieux », artiste à ses heures perdues
L’un des terriers de la commanderie de Saint-Paul-lès-Romans possède une drôle de particularité. Quarante noms de tenanciers (personnes qui tiennent une terre) sont accompagnés d’esquisses, dessinées par le notaire Giraud Bon en 1339-1340. Sortes d’armoiries parlantes, elles illustrent le nom de ces familles. Par exemple, Guillaume Chastel est représenté par un château, tandis que Pierre Beczon (Beczonis) apparaît sous la forme d’un double visage (« besson » est un terme ancien signifiant jumeau).


Autre élément notable de ce registre, le dessin d’une pogne pour désigner Pierre Bellion dit Pogna. Elle est à ce jour la plus vieille représentation connue de cette fameuse brioche ! Spécialité de Romans-sur-Isère, elle est traditionnellement confectionnée pour Pâques mais, agrémentée de fruits confits, elle se mange aussi comme galette des rois. D’après André Lacroix, la pogne est, avec le mâtefaim, « la plus haute expression de l’art culinaire villageois ».
À vous de jouer !
Pour bien commencer 2022, nous vous proposons un petit jeu : saurez-vous associer les noms suivants aux différentes illustrations ?!
1. Jean Pusin
2. Guillaume Chevalier (Chavallerii)
3. Bernard Florent (Florencii)
4. Pierre Colombon (Columbonis)
5. Étienne Gruel
6. Jean Cardinal (Cardinalis)






Bibliographie
Archives départementales de l'Essonne, « Les archives seigneuriales, aux sources de l'histoire locale », 2005.
André Lacroix, « Notice historique sur Saint-Paul-lès Romans », dans Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drôme (t. I, 1866, p. 174-188, 324-330 ; t. II, 1867, p. 134-147, 272-280 ; t. III, 1868, p. 17-31, 190-195).
Albert Soboul, « De la pratique des terriers à la veille de la Révolution », dans Annales. Economies, sociétés, civilisations, 19ᵉ année, N. 6, 1964, p. 1049-1065.