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Avril 2023

Aiguebelle et la chocolaterie

À Aiguebelle, ce ne sont pas les marmottes mais bien les moines qui mettent le chocolat dans le papier alu… Retraçons en images l’histoire d’une chocolaterie de renommée nationale.


L’entrée réussie du chocolat


Comme dans toute abbaye, les quelque deux cents moines d’Aiguebelle subviennent tant bien que mal à leurs besoins. Dans un premier temps, ils s’adonnent exclusivement à la culture et à l’élevage. Ils respectent ainsi l’une des valeurs promues par l’ordre cistercien auquel ils appartiennent : le travail manuel. À partir de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, ils s’essaient à d’autres activités : artisanat (tannerie, reliure, vannerie, confection de draps), distillation de plantes médicinales et élaboration de produits vétérinaires, mouture de la farine et fabrication de vermicelles… Mais c’est grâce au chocolat qu’ils vont connaître la prospérité.

37 Fi 10 - Vue de l'abbaye
37 Fi 21 - Battage du blé
37 Fi 38 - Moine conduisant une charrette à boeufs

En 1869, sous l’impulsion de frère Luc - un homme gourmand ou visionnaire ? - l’atelier de fabrication de chocolat est installé dans l’ancienne minoterie, située au bâtiment Saint-Joseph. La Société civile d’Aiguebelle est créée en 1877. Très vite, les bénéfices dépassent ceux issus des activités agricoles, et cette ascension s’affirme plus encore grâce au frère Chautard et à ses talents d’entrepreneur et de commercial.


Ce dernier n’hésite pas à emprunter aux banques pour investir dans du matériel performant. Il propose en parallèle une production multiforme du chocolat (en poudre et en tablette). La période est particulièrement propice, puisque le chocolat s’immisce au petit-déjeuner et lors de la collation, balbutiante, du « quatre-heures ». Le succès est tel que les moines seuls ne suffisent plus à accomplir l’ensemble des tâches. De jeunes orphelins et des ouvriers viennent en renfort. Mais en passant d’un atelier à une véritable usine, il devient difficile de suivre l’idéal ascétique de la vie monastique...

37 Fi 35 - L'entrée de l'usine
37 Fi 71 - Repas d'enfants à l'abbaye

Sous l’impulsion du même frère Chautard, la société anonyme Chocolaterie d’Aiguebelle voit le jour en 1891.  L’« usine Sainte-Marie d’Aiguebelle » ouvre en 1895 sur la commune de Donzère, idéalement située pour les échanges commerciaux. À la veille de la Première Guerre mondiale, la chocolaterie de Donzère figure dans le top 10 des chocolateries de France. La paix revenue, les moines continuent tout de même à fabriquer du chocolat artisanal dans leur « usine Saint-Joseph », jusqu’en 1935, avant de se tourner vers la distillerie.

37 Fi 66 - Vue générale de l'usine

Le succès commercial du chocolat d’Aiguebelle n’est pas seulement lié à son excellente qualité. Il doit également sa renommée nationale à un réseau de pieuses femmes qui, telles des « représentantes Tupperware », vendent les produits de l’abbaye aux quatre coins de la France. Surtout, il a bénéficié d’une excellente publicité.


Une stratégie publicitaire gagnante


Au milieu du XIXᵉ siècle, la révolution industrielle bouleverse les habitudes de consommation et les pratiques publicitaires. Les supports de diffusion évoluent : ils se diversifient, s’insèrent dans les médias (à commencer par la presse) et font la part belle à l’image. La chocolaterie d’Aiguebelle, grâce au frère Chautard (encore lui !) a su saisir ces nouvelles opportunités pour se faire connaître. Dès 1882, au même moment que les fameux magasins Au bon Marché ou les grandes marques Poulain et Liebig, elle fait imprimer par le monastère de la Trappe ses premières chromolithographies, des supports publicitaires illustrés. Une imprimerie lithographique est ensuite installée dans l’atelier Saint-Joseph en 1895. Sous forme de carte à jouer puis de carte postale, ces « chromos » rencontrent l’engouement des enfants, qui se mettent à les collectionner et à les échanger entre eux. 

37 Fi 23 - L'imprimerie de l'usine
37 Fi 68 - L'imprimerie de l'usine

Chaque chromo se compose d’une image au recto et d’un court texte explicatif au verso. De grandes séries thématiques sont éditées, relatives à l’histoire et la géographie, à la religion et aux saints, à la faune et à la flore, à l’homme et à la Société. Au total, plus de 6 000 images, tirées à plusieurs milliers d’exemplaires chacune, sortiront de l’imprimerie d’Aiguebelle ! De quoi fidéliser les plus passionnés. 

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Derrière ces images en apparence enfantines, il n’y a pas qu’une finalité ludique ou commerciale : il s’agit aussi d’instruire et d’éduquer la jeunesse à travers le filtre des valeurs catholiques. N’oublions pas que les lois Ferry, qui rendent l’école primaire gratuite, obligatoire et laïque sont encore très récentes. Face au mouvement de laïcisation lancé par la IIIᵉ République, l’Église tente de garder son influence sur la population. 

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En 1941, une succursale, toujours en activité, est ouverte au Maroc. Mais la Seconde Guerre mondiale marque durablement la Société. Elle se fait racheter par une société plus grosse dans les années 1970 et l'usine de Donzère ferme définitivement ses portes en 1978. Rachetés par la mairie, les bâtiments ont été depuis réhabilités en parc d’activités, dans lequel cohabitent entreprises, associations et salle polyvalente. Quant aux moines, leur distillerie finit également par cesser son activité en 1995. Elle est reprise par une société sous le nom d’Eyguebelle. Les moines fabriquent désormais leur fameuse boisson l’Alexion, ainsi que quelques produits alimentaires et cosmétiques.


Les moines au travail


Grâce au prêt d’Odette Peloux, cofondatrice de l’association les Amis du Vieux Donzère, les Archives départementales ont pu reproduire des négatifs argentiques, dont certains représentent l’abbaye et la chocolaterie d’Aiguebelle. On peut notamment apprécier les diverses étapes de fabrication du chocolat jusqu’à son conditionnement.


Les fèves de cacao, préparées en amont, sont d’abord torréfiées, c’est-à-dire grillées, pour permettre aux arômes de ressortir. Puis, elles sont broyées et chauffées jusqu’à devenir de la pâte de cacao. Après avoir ajouté du sucre et éventuellement du lait, vient l’étape du conchage lors de laquelle la pâte de chocolat est chauffée et pétrie plusieurs heures. Devenue onctueuse, cette pâte est étalée ou versées dans des moules le cas échéant. Une fois refroidi, le chocolat est emballé dans du papier et conditionné (avec une petite carte illustrée !) pour être ensuite expédié.

37 Fi 16 - Torréfaction des grains de cacao
37 Fi 17 - Broyage et conchage des grains de cacao
37 Fi 20 - Emballage des tablettes de chocolat
37 Fi 49 - Salle de conditionnement
37 Fi 62 - Salle d'expédition

Bibliographie


BP 260 Bernard Delpal, « Les chromos du chocolat », dans Études drômoises, n°26, juin 2006, p. 28-33.


AP 354 Marylène Marcel-Ponthier, « Aiguebelle : du chocolat et des liqueurs », dans Revue drômoise, n°552, juin 2014, p. 22-26.


AP 354 Philippe Lambert, Éloïse Manser, « La chocolaterie d’Aiguebelle, une friche industrielle en perpétuelle évolution (1893-2021) », dans Revue drômoise, n°585, septembre 2022, p.45- 52.


BH 6154 Marylène Ponthier, Aiguebelle dans la Drôme, histoire longue et mouvementée d’une abbaye et de ses filles : Bouchet, Bonlieu, Maubec, Staouëli, Tibhirine..., Guilherand-Granges, Impressions modernes, 2013.


BH 544/13 Abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle, L’histoire architecturale d’un patrimoine vivant, s.l., 2005.

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