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Août 2023

Les enfants face à l’abandon au XIXᵉ siècle

Parmi les bribes de vie qui sommeillent aux Archives, il y en a des plus malheureuses que d’autres, à l’image des enfants trouvés, abandonnés ou orphelins. Entre le XIXᵉ et la première moitié du XXᵉ siècle, on peut suivre les premières années de leur vie dans les archives de l’Assistance publique, classées dans la série X, comme un écho singulier aux accouchements sous X...


Les débuts de l’assistance publique


Le sort des enfants privés de soutien familial fait partie des préoccupations des révolutionnaires, épris d’égalité et de justice sociale. Il faut dire que le nombre d’abandons n’a cessé d’augmenter depuis la fin du XVIIIᵉ siècle et que la plupart de ces enfants connaissent des vies de misère, quand une mort prématurée ne les a pas emportés. 


L’État décide alors, par tout un arsenal législatif, la prise en charge de ces infortunés¹. Dès 1801, le département en a la charge financière et les hospices la tutelle². Dans la Drôme, quatre hospices accueillent les enfants trouvés ou abandonnés : Valence, Montélimar, Crest et Romans. Ce dernier restera le seul en activité à partir de 1829. 

Tour de l'hospice général de Rouen

Le décret impérial du 19 janvier 1811 distingue trois catégories d’enfants assistés : les trouvés (parents inconnus), les abandonnés (parents connus mais disparus) et les orphelins pauvres (sans ressource après le décès des parents).


Pour les premiers, exposés dans un lieu public, on décide l’installation de tour d’abandon à l’entrée des hospices. Il s’agissait de tourniquets dans lesquels on disposait l’enfant, avant de sonner la cloche pour qu’il soit réceptionné de l’autre côté par la sœur tourière. Ce système permettait de maintenir l’anonymat des parents et la sécurité du bébé ; on espérait ainsi prévenir les infanticides et les abandons périlleux. 


Il semble que le tour ait bien fonctionné, puisque dans un rapport adressé au préfet en 1821, le conseil général de la Drôme se plaint de recevoir également un tiers d’enfants d’Ardèche, dépourvue de tour, et constate un doublement des effectifs entre 1811 et 1822. Une fois l’enfant recueilli, la machine administrative se met en marche³.


L’admission des enfants à l’hospice


Lorsqu’un enfant est trouvé, un procès-verbal d’exposition doit être établi par l’officier d’état civil. Celui-ci détaille, selon l’article 58 du code civil, « la date, l’heure, le lieu et les circonstances de la découverte, l’âge apparent et le sexe de l’enfant, toute particularité pouvant contribuer à son identification ainsi que l’autorité ou la personne à laquelle il est confié. Ce procès-verbal est inscrit à sa date sur les registres de l’état civil ». 

Procès-verbal d'exposition de Virginie Flavian

Celui de la petite Virginie Flavian, daté du 4 avril 1833⁴, nous apprend ainsi qu’elle fut laissée dans la tour de l’hospice de la Charité de Romans le 2 avril 1833 à 21 heures. Elle portait « un drapeau, un maillot en coton jaune passé, une bande de même, deux coiffes – une en coton blanc, l’autre en soie noire ayant un tûle – et un mauvais mouchoir de mousseline ». On devine le dénuement qui a poussé à l’abandon : le jaune du coton est « passé », le mouchoir est « mauvais ».






De même, le morceau de tissu précisant la date de naissance et le baptême, accompagné de petites vignettes religieuses, laissent imaginer l’attachement que l’on portait à cette enfant. Parfois, ces objets servaient de signes distinctifs, en vue de retrouvailles futures. Les prénoms Marie Joséphine sont écrits sur un petit billet, mais la volonté du ou des parents n’a pas été respectée, comme c’était souvent le cas.  

Billet indiquant Marie-Joséphine, prénom donné par les parents, apposé sur le témoignage de soeur Guillot
Objets retrouvés sur Virginie Flavian
Recto du procès-verbal d'exposition de Virginie Flavian

Tous ces éléments se retrouvent dans son dossier (3 XP 7), rédigé par sœur Guillot. Au verso est indiqué qu’il s’agit d’un enfant exposé, portant le numéro 3219 : cet identifiant unique, donné selon l’ordre d’arrivée à l’hospice, était inscrit sur un collier scellé, que portait l’enfant placé en nourrice. En plus d’identifier, il permettait d’éviter les abus. En effet, si l’enfant décédait, la nourrice ne pouvait pas le substituer à un autre enfant pour continuer à percevoir l’argent. Et si le collier cassait, elle devait faire établir un procès-verbal de rupture, sans quoi elle perdait ses mois de garde. 

Des fins tragiques aux retrouvailles


Le procès-verbal d’exposition est également reporté dans le registre des enfants abandonnés. Celui de Romans et Valence indique bien au numéro 3219 Virginie Flavian⁵. Son décès, le 13 avril 1834, apparaît en mention marginale. À peine plus d’un an après sa découverte. Ce funeste destin est loin d’être isolé : il suffit de feuilleter le registre pour s’en rendre compte.


D’autres enfants connaissent en revanche des trajectoires plus heureuses. Si certains restent à l’hospice jusqu’à l’âge de douze ans, pour ensuite être placés en apprentissage ou aides à divers travaux, d’autres finissent par retrouver leurs parents.


C’est le cas de Félix Duranty, abandonné par Anne Bellon et Jean Devreton, le 30 janvier 1833 (3 XP 7). Dix-huit mois plus tard, une pétition de leurs voisins atteste le désir des parents de récupérer leur enfant, exposé à l’hospice de Romans « pour cause de détresse » et manque de lait. Elle affirme qu’ils sont désormais « un peu mieux dans leur aisance » et que « sa mère ne peut vivre sans son enfant, car le chagrin la tourmente tant qu’elle n’aura pas son fruit ». Un certificat du maire de Romans confirme ces propos.

Pétition pour que Félix Duranty soit rendu à ses parents
Attestation du maire de Romans en faveur du père

Pourtant, le 5 octobre 1834, l’Administration annonce que Félix restera en nourrice jusqu’à nouvel ordre. Dès le lendemain, les deux parents se rendent au bureau de l’hospice. La mère arrache alors de force l’enfant des bras de la nourrice et s’enfuit avec, « en criant qu’elle mourrait plutôt que d’être privée de son enfant et qu’on ne pourrait l’arracher que morte de ses bras ». L’abandon n’était pas uniquement le fait de filles-mères soucieuses des conventions sociales ; des couples mariés pouvaient aussi être contraints par la misère. Les registres des procès-verbaux des enfants abandonnés nous confirment que Félix est revenu chez ses parents⁶, suffisamment à l’aise pour s’en occuper, mais pas assez pour payer les frais de placement, dont ils sont dispensés.

Recto de la pétition exposant la suite des événements
Frais de placement de Félix Duranty

En 1849, l’Assistance publique est officiellement créée. Elle deviendra l’Aide sociale à l’enfance en 1956. Au XXᵉ siècle, toute une série de lois modifie les catégories d’enfants assistés. Quant aux tours d’abandon, ils sont officiellement supprimés en 1904. Aujourd’hui, on parle d’accouchement sous le secret ou sous X.     


¹ Loi du 27 frimaire an V (27 octobre 1795) sur les enfants abandonnés ; arrêté du 5 messidor an V (23 juin 1797) relatif au paiement des mois de nourrice et pension des enfants abandonnés.

² Arrêté du 25 vendémiaire an X (17 octobre 1801) qui détermine le mode de payer les dépenses des enfants trouvés.

³ Rapport sur le service des enfants trouvés et délibération du Conseil général du département dans sa session de 1821, Valence, Imp. Jacques Montal, 1822 (BH 6624/13).

⁴ Acte de naissance de Virginie Flavian, Archives communales de Romans-sur-Isère (E 50, vue 44).

⁵ Registre des procès-verbaux des enfants abandonnés (Valence et Romans), 1832-1842 (121 S 212, vue 10).

⁶ Registre des procès-verbaux des enfants abandonnés (Valence et Romans), 1832-1842 (121 S 212, vue 5).

Sources


Autres archives


Archives départementales de la Drôme


Sous-série 3 X – Assistance sociale/Assistance à l’enfance


Archives de Valence Romans Agglo


121 S 211 Registre des procès-verbaux des enfants abandonnés (Valence et Romans), 1819-1832.

121 S 212 Registre des procès-verbaux des enfants abandonnés (Valence et Romans), 1832-1842.

122 S 41 Registre de placement des enfants trouvés et abandonnés,1865-1887.


Bibliographie


Archives départementales d’Indre-et-Loire, Quelles archives pour l’histoire des enfants abandonnés ?, Tours, 2013, corrigé en 2019, accessible ici.


BH 6224/13 Rapport fait au Conseil général du département de la Drôme sur les enfants trouvés par M. le marquis d'Archimbaud, s.l., 1838.


BH 6431/11
Léon Lallemand, Histoire des enfants abandonnés et délaissés : études sur la protection de l'enfance aux diverses époques, Paris, Picard, 1885.


Anne Cadoret, « De "l'enfant trouvé" à "l'enfant assisté" », dans Études rurales, 1987, n° 107-108, p. 195-213, accessible ici.


Ivan Jablonka, « Les droits de l’enfant abandonné (1811-2003) », dans Cahiers de recherche sur les droits fondamentaux, 2006, n°5, p. 23-30, accessible ici.


Isabelle Le Boulanger, L'abandon d’enfants, L’exemple des Côtes-du-Nord au XIXᵉ siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.


Gilles Merien, « Les enfants trouvés sous le Directoire et le Consulat », dans Histoire, économie & société, 1987, n° 6-3, p. 399-408, accessible ici.


Etienne Van De Walle, Samuel H. Preston, « Mortalité de l'enfance au XIXᵉ siècle à Paris et dans le département de la Seine », dans Population, 1974, n° 29-1, p. 89-107. 

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